Sidney J. Pond - a fire as cold as ice. [Terminée]

Mon John,

Mon petit John Smith. En écrivant cela je me rends compte plus que jamais à présent que je n’ai jamais su comment tu t’appelais réellement. Et je ne le saurai jamais. Evidemment, je me doutais bien que tu ne m’avais pas donné ton véritable nom, et en apprenant à te connaître, mes doutes se sont confirmés. J’en ai la certitude aujourd’hui. Mais qu’est-ce que ça change, au final ? Qu’est-ce qu’un nom, quand on connait la personne qui se cache derrière ? Tu m’as appris qu’un nom était éphémère, qu’un nom pouvait nous sauver de la pire des situations comme nous y fourrer. Tu m’as appris qu’un nom pouvait avoir son importance, mais qu’en aucun cas il ne reflétait ce que l’on est réellement. Un nom n’est pas une identité ; c’est une parole en l’air. Tout comme celle me promettant que tu resterais avec moi pour l’éternité.

Si je t’en veux ? Non. Comment pourrais-je t’en vouloir, après tout ce que tu as fait pour moi ? J’en veux à la vie, oui, j’en veux à la cruauté du destin – si destin il y a. Mais je ne t’en veux pas, à toi. Après tout, tu as fait tout ce qui était en ton pouvoir pour m’offrir une vie meilleure.

Je me rappelle encore de la toute première fois où je t’ai vu. Tu es apparu tel un ange descendu du ciel, m’a attrapé la main et m’a intimé de courir. Pour une raison que j’ignore, je t’ai suivi – mais c’est sûrement la meilleure décision que je n’aie jamais pu prendre. Ta présence ce jour-là m’a parue irréelle ; notre course folle relevait de l’imaginaire. Je n’ai jamais su ce que tu fuyais mais, à présent, je me fais ma petite idée.

Au début, tu ne voulais pas de moi. J’ai mis du temps à le comprendre, mais je ne t’en veux pas pour m’avoir rejetée. Tu refusais que je te suive. Je ne saisissais pas ta logique ; me faire courir des kilomètres avec toi pour ensuite me lâcher dans la nature. Tu n’avais pas besoin d’un fardeau en plus, tu ne voulais pas me mettre en danger. Je suis tellement heureuse d’avoir insisté pour rester. Sans toi, je me demande bien ce que je serais devenue. Rien de ce que je suis aujourd’hui, en tous cas.

Six ans, que j’avais. Orpheline, que j’étais. Je ne t’ai jamais raconté mon histoire, et tu ne m’as jamais raconté la tienne non plus. Alors je le fais à présent.

Je ne me suis jamais plainte de mon enfance. Une époque calme, entre ma mère et moi. Là où tu es, tu l’as peut-être croisée. Une femme merveilleuse, à qui j’en ai fait voir de toutes les couleurs. Je n’étais pas le genre d’enfant à obéir sans protester, ou sans connaître les raisons des choses que je devais faire – ou ne pas faire. Contrairement à ce que tu peux penser, j’étais particulièrement chiante. Je n’ai jamais été du genre à me laisser faire. Lorsqu’on s’est connus, toi et moi, je n’avais plus de parents. Je n’ai jamais su qui était mon père. Un accident de voiture m’a enlevé la seule personne qui me restait, mon admirable et douce mère. Je n’avais personne d’autre… Nulle part où aller. On m’a mise dans un orphelinat. Lorsque mon chemin a croisé le tien, je venais de m’enfuir.

Je me demande ce que tu as pu penser des cicatrices que tu as vues, tout comme tu as dû te demander ce que j’ai pu penser des tiennes. L’orphelinat où j’ai passé sept mois était particulièrement macabre. On était maltraités, c’est une des raisons pour lesquelles j’ai fui. Et heureusement que je t’ai trouvé…

Tu allais sur tes dix-sept ans, à l’époque. Tout comme moi, tu étais à la rue. Mais je sentais bien que ce n’avait pas toujours été le cas. Tu savais lire, tu étais éduqué, cultivé… Ta façon de parler montrait bien que tu avais fait partie d’une classe aisée. Tu m’es apparu comme un ange, un sauveur, mon sauveur. Tu m’as prise sous ton aile. Grâce à toi, ma fierté est restée telle qu’elle était – ne pas faire la manche, telle était notre devise. Tu m’as appris les pires choses de la vie, ainsi que les meilleures. Voler pour survivre… Tel était notre cycle vicieux.

Tu changeais de nom aussi facilement que de visage. Je me demande où tu appris tout cela, et je te suis bien reconnaissante de m’avoir transmis toutes tes connaissances. L’art du déguisement, l’art du vol, l’art de ne pas se faire remarquer, l’art de se battre, l’art de décrypter tout ce qu’il se passe autour de nous. Tu m’as appris tellement de choses. Grâce à toi, j’ai appris à observer les gens, leur vie. J’ai appris à me connaître, à me contrôler, à jouer tous les rôles. Appris à savoir quand agir, l’apparence de qui prendre. C’était tellement plus facile de faire accuser les autres à notre place… J’ai mis du temps à comprendre que, finalement, si tu changeais d’identité aussi souvent, c’était parce que tu étais recherché. Par qui, pourquoi ? Je n’en ai pas la moindre idée. Qu’est-ce qu’un homme aussi adorable que toi aurait bien pu faire pour se retrouver dans une telle situation ? Aujourd’hui encore, je ne peux m’empêcher de me le demander.

J’ai grandi avec toi. J’ai vécu avec toi et, quelque part, j’ai appris à t’aimer. Au fil des années, notre relation n’en devenait que plus forte, tout comme ma fortune. Je te l’ai caché pour te faire la surprise. J’ai toujours mis de l’argent de côté, pour nous. J’ai fini par avoir de quoi nous acheter un petit studio, pourri mais avec assez de place pour nous deux. C’aurait été notre chez nous…

Mais le jour où j’ai voulu te l’annoncer, et te dire de venir le visiter avec moi pour avoir ton avis, tu es parti en me laissant une lettre en mon nom. Tu m’as parlé comme si on allait se retrouver quelques heures plus tard, mais la lueur dans tes yeux ne collait pas à ton sourire. J’ai compris, plus tard comme toujours, que tu savais que tu ne reviendrais pas. En ouvrant la lettre, j’ai cru que tu étais parti par peur. Ayant découvert mon secret, mon « don », tu ne voulais plus de moi. J’ai donc continué ma route seule, je me suis découvert une passion pour l’art. Tu serais fier de moi aujourd’hui. J’ai fini par savoir que tu n’étais pas parti à cause de moi, mais parce que c’était l’heure pour toi de mourir. Tu as couru toute ta vie, il était temps pour toi d’accepter ton destin.

Alors, ne t’en voulant plus, j’ai relu la lettre. Et j’ai décidé, à mon tour, d’accepter mon destin, et de me rendre à cette fameuse académie – l’Académie Tsuki.