Tout trempé [PV - Ace]

Aujourd’hui était un beau jour. À la sortie de l’hiver, les dernières neiges commençaient à disparaître tandis que les premiers rayons de soleil réchauffaient les cœurs et les esprits. Le printemps qui se profilait à l’horizon, l’hiver et toutes ses peines qui disparaissaient dans les ombres, tout cela était grisant. Enfin, pas pour Hideki. Malgré ces conditions plutôt agréables, l’infirme était maussade, l’âme en peine.

Trop longtemps, Hideki avait laissé ses sentiments diriger sa vie. Trop longtemps, ses peines et ses douleurs l’avaient enchaîné, boulet au pied, dans sa prison de verre : la vie. Depuis quelques temps, des figures chères et chaudes étaient venues embuer ce verre : leurs haleines à tous avaient attribué des couleurs à ce qui n’en avait pas avant. Au-delà des couleurs, elles attribuèrent des mots : Amitié, Amour, Compassion. Tous ces mots qui, autrefois, ne signifiaient rien : or, Amour… c’était faux de dire qu’il ne voulait rien dire, avant. Pourtant, Hideki ne se l’avouerait jamais tant c’était douloureux à supporter.

Hideki se réveillait doucement de son état de demi-sommeil. Le jeune garçon était appuyé contre un arbre du jardin, non loin de la jolie fontaine dont tant faisaient l’éloge de la beauté, et de la clarté de son eau. Hélas… Les feuilles de l’arbre, très loin au-dessus de lui, bruissaient dans le vent. La douce brise, nullement froide, caressait doucement son visage de malade. Le temps était si doux… Hideki sentait une sécheresse dans sa gorge : depuis combien de temps était-il ici ? Il s’était endormi sans même s’en rendre compte ! Il se leva, s’appuyant avec peine contre le tronc et traîna son corps usé jusqu’à la fontaine, sa canne dans une main, son sac à dos dans l’autre.

Aujourd’hui, Hideki portait un tee-shirt blanc, très simple et basique, avec une paire de jeans noirs, très seyante. Par-dessus, il avait enfilé une « sherpa jacket », noire et blanche. Des baskets noires de marque, ainsi qu’un masque noir qu’il aimait porter.

Il y avait beaucoup de monde autour de la fontaine. Était-il bien sage d’y aller ? Hideki s’arrêta, eut un mouvement de recul. Il n’avait plus si soif que ça, bizarrement… avant qu’il ne puisse faire demi-tour, il entendit un gros « splash ! », suivi de rires exacerbés et hystériques. Que… venaient-ils vraiment de jeter quelqu’un à l’eau !? Mieux valait s’éloigner rapidement ! Hideki tournait les talons, mais le destin le rattrapa : ou plutôt, des élèves… on se mit à courir vers lui, en criant. En quelques secondes, la canne d’Hideki fut brutalement arrachée de ses mains squelettiques. L’infirme n’eut pas le temps de réagir que sa canne était déjà lancée… au fond de la fontaine ! Hideki poussa un cri de colère : de quel droit se permettait-il de faire ça !? Alors que le jeune homme tentait de rattraper les coupables, les voilà qu’ils prenaient déjà la fuite vers la fontaine en riant !

« Aller, viens la chercher ! »

Hors de lui, Hideki se rapprochait : il aimerait tant courir… mais sans sa canne, il se sentait faible. Impossible de mettre un pied devant l’autre sans que cela soit une épreuve. Il avait si peur de trébucher… les larmes lui montaient aux yeux : pourquoi lui avoir fait ça ? Voyant l’hésitation de l’infirme, les malotrus répliquaient, tout fiers d’eux.

« Si tu ne viens pas la chercher, on va la garder pour nous ! »

Hors de lui, Hideki lâcha des jurons en japonais et accéléra le pas. Il bouscula un groupe attroupé près de la fontaine, mais il n’y prêtait pas attention. C’était la pagaille autour : il entendait des gens jeter des trucs dans la fontaine ! Bientôt, l’infirme finit mouillé : les élèves s’amusaient à l’éclabousser !

« Rendez ma canne, espèce d’enfoirés ! »

Tandis que ses malfaiteurs riaient à gorge déployée, Hideki plongea ses mains dans l’eau de la fontaine, recherchant désespérément sa canne. Les larmes se mirent à couler toutes seules. Non loin, quelques filles n’avaient pas la conscience tranquille devant cette scène cruelle, mais elles n’intervenaient pas.

« Et un… deux… trois ! »

Avant qu’Hideki ne puisse comprendre ce qu’il lui arrivait, deux des garçons prirent Hideki par les jambes, et le basculèrent dans la fontaine. Des rires s’élevèrent de tout part, tandis que certains jetaient à l’eau les affaires d’autres malheureux, ou se jetaient à l’eau tout court.

Par un jour de si beau soleil, je m'était posé sur un banc après avoir pris part au jeu enfantin de quelques élèves, et nous en étions tous ressortis trempés. J'écoutais le bruit apaisant de l'eau qui remue et qui éclabousse, recevant parfois quelques gouttelettes tièdes et agréables. Je fus surpris d'entendre derrière moi des jurons en japonais; la langue ne m'était plus familière depuis voilà plusieurs années. Je tournai donc doucement la tête, pour voir un élève à la mine sombre qui s'approchait de la fontaine, encouragé par les autres élèves. Je ne compris pas vraiment la situation. Quand il fut à côté de la marre, il s'abaissa et plongea son bras. Avant qu'il ne put en ressortir quelconque objet, il fut poussé dans l'eau par ses camarades. Je souris naturellement, pourtant l'élève concerné semblait de mauvaise humeur. Dommage qu'on ne puisse pas tous apprécier les joies de l'immaturité.

Me vint alors l'idée de venger ce garçon; peut-être suffirait-ce à lui rendre le sourire. Je me levai soudainement et contourna la bande de joyeux galopins pour me retrouver dans leurs dos. Je pris dans mes bras le premier que je vis et le balança lui aussi dans l'eau. Tous n'eurent pas le temps de réagir, que j'en saisissait déjà un second, qui éclata de rire en se débattant avant son plongeon forcé dans la fontaine.
Alors que certains me fuyaient, d'autres venaient me pousser dans l'espoir de me mettre à l'eau. Leur résistant sans grande difficulté, je jetai un oeil à celui qui avait inauguré la trempette.

Hideki sentait l’eau infiltrer ses vêtements, tout trempés : les fibres des tissus s’alourdissaient, gorgées de toute l’eau de cette fontaine Ah ! Tant d’eau ! Ses cheveux pendaient sur son front, collés dans sa nuque, formant des nervures noires sur son visage livide. Il recracha l’eau qu’il avait failli avaler et, plein de rage, il tapa brutalement du pied au fond de la fontaine afin de se hisser le plus haut possible. Avec des mouvements de bras de forcené en panique, il tenta d’attraper le rebord de la fontaine, tout glissant. Ses doigts effleurèrent la roche polie, puis ses mains retombèrent brutalement dans l’eau. Splash ! Splash ! Des corps lourds tombèrent dans la fontaine, dans des éclats de rire provocants. Beaucoup s’étaient tus. L’infirme ne comprenait rien : il fallait qu’il s’extirpe de là le plus rapidement ! Pourquoi personne ne lui venait en aide ? Est-ce que les gens éprouvaient du plaisir à admirer cette scène effroyable ? Étaient-ils heureux de voir un aveugle se faire malmener par des enfoirés, comme ça ?

Le masque d’Hideki collait à sa peau, l’empêchant brièvement de respirer. Le souffle coupé par le froid et par ce masque, il essaya de résoudre au moins uns des problèmes : Hideki baissa son masque dans son cou et prit une grande inspiration. Au début, le froid ne l’avait pas choqué : maintenant, cette eau glacée lui enserrait la poitrine, lui arrachait le souffle. Le jeune garçon agrippa le bord de la fontaine, et, malgré lui, poussa un gémissement de détresse. Il concentra toute la force de ses muscles, d’une chétivité ridicule puis il se haussa du mieux qu’il pouvait. Son torse était maintenant hors de l’eau : encore un petit effort ! Ses poignets cédèrent sous le poids pourtant absurde de son corps et il retomba lourdement dans l’eau.

L’eau pénétrait ses narines et ses oreilles sans qu’il ne puisse rien y faire. Sans perdre espoir, Hideki posa de nouveau sa main sur le rebord, dans le but de remonter. Bordel, mais pourquoi personne ne l’aidait !? Ses larmes malheureuses se mêlaient à l’eau glacée. Avec l’énergie du désespoir, l’infirme se dressa une nouvelle fois. Animé par toute sa honte, sa douleur, et sa colère, Hideki réussit enfin à se hisser hors de la fontaine. Il était trempé et glacé, mais rien n’était encore joué. Alors qu’il sentait déjà la douce brise lui caresser les mains, quelque chose attrapa son pied et l’attira, comme un aimant, tout au fond de la fontaine.

Hideki poussa un cri de terreur et de désespoir. Autour, les rires s’étaient mis à flamber de plus belle. Bon sang ! C’était un des élèves qui était tombé dans la fontaine qui venait de le tirer ! Les yeux rouges et séchés par les larmes, l’infirme se tournait vers les élèves et criait d’une voix faible, brisée par l’émotion et la rage.

« Le premier qui me touche, je l’éventre ! »

Aussitôt, les élèves, prenant cette remarque de bon cœur, sautèrent tous sur le pauvre Hideki, malheureux et paniqué.

Le gars en question ne semblait pas plus amusé, et il eu du mal à se relever. Je m'approcha quand il cria:

« Le premier qui me touche, je l’éventre ! »

Bon, faut croire que c'est pas son jour à lui. Mais c'est à moi de m'en occuper. Je commence donc à calmer les autres élèves.

- S'il vous plaît, calmez-vous un peu... On va éviter d'ennuyer ceux qui n'ont pas envie de jouer.

Je m'approche du garçon et lui propose ma main pour l'aider à sortir. Je 'aperçois que ses yeux sont pâles. Serait-il aveugle? Je comprends tout de suite mieux pourquoi il s'énerve comme ça. Et, au fond de la fontaine, je vis une canne. Cela confirmerait mon hypothèse...
Je vais chercher sa canne et la lui met en main.

- Désolé, je n'avais pas vu que tu étais aveugle. Tu permets que je t'aide à sortir?

Ce doit être dur à vivre, je me demande ce que je ferait si j'étais moi aussi aveugle... Vous m'imaginez en canne?
Bon, je vais faire la causette avec lui en espérant le calmer, et m'excuser par la même occasion. Ou du moins c'est ce que je ferais si les enfants autour s'étaient calmés, mais il n'en est rien, puisque deux d'entre eux me poussent dans la fontaine. Je ne peux empêcher la chute, et je risque de faire tomber l'aveugle avec moi... je me sert de sa stabilité pourtant bancale pour me mettre de côté et éviter de lui tomber dessus. Une fois immergé, je prends appui sur le sol pour me relever en vitesse. Les rires et les cris me prouvent que mes ordres ne serviront à rien. Tant pis, je dois mettre l'aveugle hors de "danger"; sans prévenir, je le prends dans les bras avant de sortir de la fontaine pour nous mettre hors de portée des jeux d'eau. Je le repose ensuite au sol.