Heure de colle dont on se serait bien passé ♦ Yumie

Les scènes se rejouent perpétuellement dans ma tête depuis-là une semaine. Je ne parle plus. Je ne mange plus. Je dors juste. Je me défoule dans mon imaginaire, me voyant en train de lui vider de ses tripes. Mais les images qui me reviennent le plus reste celle où j'ai été impuissante et mise en danger.

Dans la salle de colle, je me remémore mollement les événements de mon année sur le plan scolaire. L'année dernière, je me souviens que je ne suis que rarement allée en cours et profité du pensionnat pour dormir et errer dans les couloirs. Mais j'ai décidé de me reprendre en main mi-automne, peu après la rentrée pour rattraper mes cours, je me suis acharnée et presque épanouie dans mon travail. Jusqu'à ce que je rencontre des professeurs complètement barjot qui tente de me séquestrer chez eux et de me violer avec un chat en décomposition sur la main. En songeant de nouveau à ça, mon flux gastrique ne tarde à me remonter à la gorge. Je veux partir. Loin. Je ne veux ni retourner au Japon près de ma famille non-aimante ni rester un an de plus dans cette prison de fou. Je veux vraiment partir dans un lieu qui m'est commun et ceux pour très longtemps, mon lieu à moi où personne ni même ce monde ne me dérangera et où je serais toute puissante.

Je me trouve là, devant mes fiches de rattrapage et mon cahier de brouillon gribouillé par des ''Je dois arriver à l'heure en cours'' et des ''Je dois me concentrer et être attentive lorsque le prof me parle''. Je reste un moment le regard fixé sur le sol avant de, d'une mine désastreuse, me lever et de me diriger vers le surveillant. Je dois lui rendre mes écrits sur le cahier de brouillon puis mes rattrapages, il va devoir attendre un bon moment avec moi alors que les quelques élèves commencent à ranger leurs affaires. Je pose d'une main frêle mon petit cahier sur le bureau d'Akatsuki le surveillant. C'est d'une voix plate que j'introduis mon labeur.

« Voilà ma punition faite monsieur. Je poursuis mes rattrapages. »

Je reste là, à fixer le surveillant sans même songer à retourner à ma place. Comme si je suis persuadée qu'il va me rendre la copie ou me donner un travail supplémentaire. Mon regard se pose bêtement sur le torse du pion, complètement dans la lune et tirant la gueule. Tiens, j'ai finalement raison. Dans un coin de ma tête, la voix du surveillant murmure dans ma tête, se montrant si insignifiante comparé au brouhaha incessant de mes multiples personnalités, débattant sur mon sort. Je finis par faire un effort et diriger mes yeux dans ceux du Monsieur. Ils me font tous peur. Tous, avec leurs traits durs, froids et cyniques, leurs sourires carnassiers et pervers, leurs mains grosses et menaçantes. Oui, les adultes masculins me font peur à un point que je remarque mes gambettes tremblotantes qui me font reprendre conscience de la situation.

Le réveil. Mes yeux clignotent et je suis prise d'un léger sursaut, comme si je viens d'apparaître ici par surprise. Je me rends compte que mon petit cœur se met à battre vite et que ma respiration s'emballe. Je clignote encore une fois les yeux, regardant béat l'homme qui me parle sur un ton professionnel. Je me sens tout de suite faible et impuissante face à lui, je sens qu'il veut me faire du mal mais je garde mon calme, du moins, tant qu'il ne met pas la main sur moi.

« Tu sembles assez mal dans ta peau... Il y a quelque chose qui s'est passé récemment qui t'as... traumatisée ? »

En effet. Mais je ne le serais comment l'expliquer. Il m'est aussi impensable de lui dire quoique ce soit à propos de ce qu'il s'est passé. L'homme va connaître mes faiblesses et va en jouer. Il me veut du mal, comme tous les hommes. Je recule d'un pas alerte et fronce les sourcils, froncement traduisant ma confusion, montrant que sa question n'a aucun sens. Et puis, de quoi je me mêle ? Il a juste à se soucier du travail que j'ai fourni, et tant que mon comportement ne nuit pas à autrui, il n'a pas à me poser ce genre de question aussi précise soit-elle. Je finis par lui répondre d'une voix frêle. Une première fois, mes cordes vocales semblent brisées, alors je racle la gorge et me reprend.

« Euh non ça va, je vais refaire le travail si il est mauvais. Excusez moi. »

Je n'ai qu'une envie : retourner à ma place pour recommencer ça, travailler pour enfin penser à autres choses que ces scènes cauchemardesques qui tournent en boucle dans ma tête. Bizarrement, je reprends une coutume japonaise qui est, les bras le long du corps, s'incliner légèrement devant la personne devant toi pour la remercier -ou s'excuser- et je retourne enfin à ma place. Mes pas lents résonnent dans la salle quasiment vide, seuls deux élèves discutent impoliment entre eux. J'écarte délicatement la chaise de la table pour m'installer avec mollesse. A ce moment-là, je ne songe à rien. Mes voix se disputent entre elles mais cela n'a eu aucun intérêt, n'a mené à rien. Je m’assois enfin, le regard vide rivé sur mon brouillon que j'ai soigneusement ôté plus tôt des mains du surveillant et sans vraiment m'en rendre compte.