The heart is deceitful above all things : who can know it ? [FINI]

Spoiler:

Une femme blonde platine, maquillée à outrance, était à l’avant d’une vieille voiture qui pétaradait le long d’une pénible route du Texas. Ses sourcils froncés exprimaient une concentration assidue. Cette femme, d’une vingtaine d’années, s’appelait Jess. Aujourd’hui, Jess allait récupérer son enfant. Darren, un petit garçon de sept ans qu’elle avait confié à ses parents. Jess était l’une de ces adolescentes, enceintes trop tôt. Elle n’aurait jamais pu assurer l’éducation de son fils, mais aujourd’hui était le temps de le reprendre.

Jess garait sa voiture devant le porche. Ses parents vivaient dans une maison grande, riche, et typiquement américaine : cette maison de bois clair, avec un porche impressionnant et entretenue avec attention avait toujours été trop petite pour un couple de vieux vivant leurs beaux jours. Darren était l’enfant qui les arrachait à la solitude, à la vieillesse. Darren les rendait heureux, et Darren était heureux avec eux. Ce garçon ne connaissait à peine sa mère, on lui avait enlevé trop tôt. Il aimait ces grands-parents comme ses propres parents, et pour rien au monde il n’aurait aimé en être séparé.

Jess ne descendait pas de sa voiture. Observant dans les rétroviseurs, un sourire agacé et excité au coin des lèvres, elle attendait, portières ouvertes, que Darren soit emmené jusque dans sa voiture. Hors de question qu’elle descende, elle n’a jamais réussi à conserver de bonnes relations avec ses parents… sa grossesse précoce, son caractère y étaient pour quelque chose. Ce que Jess n’avait jamais pu comprendre était la raison du pourquoi ses parents arrivaient à supporter Darren, qui était tout de même le fruit de cette grossesse si diabolisée !

Darren était un petit garçon à l’air idiot et doux, et à la tête blonde. Ses cheveux d’or, coupés courts encadraient un visage fin et candide, dont la seule expression affichée actuellement était l’inquiétude. Un bruit de portière qui claque, la voiture repartait. Darren regardait en arrière : ses parents ! Il se mettait à crier, à pleurer, et à les appeler, mais tout ce que ses grands-parents pouvaient faire était de le saluer, l’air pincé et infiniment triste. La voiture filait le long de la route, sur la route tortueuse et bossue. Les cris de supplication de Darren, arrachés à ceux qu’il avait considérés comme sa richesse, et sa raison de vivre résonnaient dans l’esprit brumeux de Jess, qui bientôt, craquait. « La ferme ! » Jess prenait la première chose qu’elle avait sous la main – une canette vide de Cola – et la jetait brutalement à l’arrière en visant le pauvre garçon.

Jess vivait dans une maison miteuse et poussiéreuse, longeant une route bruyante. Elle habitait un quartier pauvre : l’intérieur était sombre, peu meublé et sale. Cela faisait quelques jours que son fils et elle s’étaient installés, et ce pour longtemps à présent. Jess passait le plus clair de son temps à dormir, avachie dans le canapé, devant des programmes de télévisions aussi idiots qu’ahurissants. Darren avait souvent la faim au ventre : lorsque sa mère dormait, hors de question de la réveiller. Il avait si faim… il tentait d’ouvrir les placards, le frigo, mais ils étaient toujours vides. Le garçon piochait dans les paquets de chips et de cacahuètes étalés sur le canapé et sur sa mère, et se nourrissait de ça. Lorsque sa mère tentait de cuisiner pour lui, elle n’y parvenait même pas. Tout était en boîte, rien n’était chauffé. Raviolis froids, petits pois et autres légumes mangés à même la conserve… Darren n’avait jamais rien connu d’aussi sordide, et ses parents – maintenant grands-parents – ne lui avaient jamais aussi manqués.

Jess, lorsqu’elle ne dormait pas devant la télévision et qu’elle n’était pas à copuler un peu partout avec les premiers garçons qui se présentaient, aimait se prêter à des jeux étranges avec son pauvre fils. Elle lui donnait souvent de l’alcool à boire, ou lui demandait des choses inimaginables.

Darren voulut partir. Alors que sa mère roupillait au fond du salon sombre, il ouvrait la porte d’entrée. Le soleil caressa ses cheveux sales et ses habits miteux. Il fallait qu’il s’enfuît, et qu’il retrouve ceux qui l’aiment, ces deux personnes qui prenaient soin de lui… il commençait à courir, faiblement d’abord. Il ne savait pas où il allait, mais il voulait partir le plus loin de cette maison de malheur ! Il avait faim, il avait froid, et ça faisait des jours qu’il n’avait pu prendre de douche. L’argent manquait, et bien que sa mère gagnait un peu d’argent contre des services malsains, elle n’arrivait pas à faire vivre son fils.

Cette tentation fut vaine : Jess le retrouva bien vite, comme le mauvais sort. Cette situation devint vite étouffante pour eux deux : aidé par un homme de peu de foi, que Jess connaissait bien, Darren et sa mère s’engagèrent sur les routes du Texas. Cet homme, John, routier, les hébergeait tout deux dans son camion. L’espace était restreint, les jours étaient longs. Jess, obnubilée par cet homme qu’elle considérait comme son sauveur, négligeait son fils. Cela ne changeait guère d’avant… Darren était confronté à la perversité de sa mère, prête à se prostituer auprès de tout les hommes qui passaient. Des nuits, ils étaient hébergés sur des aires routières, proposant des lits. Hors, Darren n’en a jamais profité. Lorsque Jess et son amant John s’arrêtaient et louaient une chambre, le couple dormait dans un lit. Le seul lit… Darren était condamné à la baignoire, dans laquelle Jess tapissait généreusement de couvertures.

Darren ne suivait pas l’école, bien évidemment. Son éducation, pourtant bien entamée par ses grands-parents semblait être retombée à zéro. Lorsque il dormait, il lui arrivait souvent d’avoir des fuites. Comme un enfant, nous dirons… John n’avait jamais été bien commode. Lorsque Jess et lui découvraient les couvertures trempées et odorantes, il n’en fallut pas longtemps à Jess pour donner Darren à John, et le laisser le battre et le fouetter.

Bientôt, Jess abandonnait la route : elle s’installait dans une maison : nouvel homme, nouvelle vie. Un petit homme bedonnant, pas vraiment grand et plus vieux. Elle l’épousa. Le quotidien de Darren ne changeait presque pas : il passait ses journées seul, enfermé à la maison : sa mère et son nouvel homme partaient des jours entiers, laissant le pauvre garçon se débrouiller. Darren commença à dessiner sur les murs, à dessiner ce qu’il voulait : il aimait dessiner. Surtout sur les murs. Il ne dessinait rien de particulier, il passait de gribouillages en gribouillages. Dès que sa mère et son nouveau père arrivèrent à la maison, et constatèrent l’ampleur des dégâts, Jess, mère dépassée, ne sut quoi faire. Une haine profonde envers son fils s’était développée, mais maintenant qu’elle avait un homme dans sa vie, elle préférait lui confier Darren plutôt que de s’occuper elle-même de ses punitions.

L’homme avait promis à Darren qu’il n’allait pas lui faire de mal. Il lui promit qu’il n’allait pas le battre. Mais ce qu’il fit fut bien pire. Une effusion de sang, mêlée à des bouts d’enfance arrachée. Darren fut emmené à l’hôpital. Les agissements de sa mère impulsive, perdue et complètement psychotique furent bientôt exposés à la lumière, et Darren lui fût enlevé. On l’intégra à un pensionnant catholique, pour en faire un garçon fort.

Darren avait l’impression que tout ceux qui le côtoyaient faisaient exprès de ne pas l’aimer, et de le mépriser. Tout le monde, si énervé… rien de paisible… des cris, des coups… les hommes du pensionnat étaient cruels, et les enfants aussi. Il y en avait des plus petits que Darren, et des beaucoup plus grands. Tous ne faisait rien d’eux-mêmes… on leur donnait leur repas, leur cours, on les couchait, on les lavait, on les habillait, déshabillait. Ce quotidien douloureux, Darren en était fatigué. L’homme qui lui faisait prendre son bain lui faisait du mal : il s’enfermait dans la salle de bains avec lui, comme avec tout les garçons d’ailleurs.

Darren subissait les colères de tout le monde, il se sentait si seul… ce calvaire au pensionnat dura bien quelques années. Mais cette expérience le transforma… les études catholiques lui ont fait trouver la voie du Seigneur, celles que les bonnes femmes de l’établissement disaient primordiales. Tous les jours, Darren priait. Il était jeune : les garçons du pensionnat étaient enrôlés pour parler sur les places publiques. Une fois par semaine, on les emmenait en ville, et on les faisait crier les louanges du Seigneur : on voulait des croyants, et ces petits garçons formatés et innocents étaient les mieux placés pour ce genre de travail de l’Église. Darren ne se rappelait plus des sévices qu’il avait pu subir : en tout cas, il choisissait de ne pas s’en rappeler. Toutes les fois où Jess l'avait traîné au sol, en lui tirant les cheveux...

Ces petites sorties en ville furent dévastatrices. Jess, sa mère, remit bien vite la main sur son fils : elle avait repris la route, même routier, John. Elle voulait récupérer son fils. Elle l’approchait, alors qu’il était en pleine séance. Darren la reconnut tout de suite, et à sa vue, son coeur s'emplit d'angoisse. Jess lui arrachait son texte des mains, et constatait avec étonnement et fierté la belle tenue de son fils : les cheveux longs, lui caressant doucement la nuque et plaqués sur son crâne, il était habillé d’un costume noir. Il portait une croix au cou. Il ne fallut pas longtemps à Jess pour le convaincre de le rejoindre, et de remonter dans le camion. Assis, elle lui arrachait sa croix, déboutonnait sa chemise trop serrée. Elle passait une main dans ses cheveux et les ébouriffait de manière symbolique. Il repartait.

Darren et sa mère s’installèrent dans un cottage, éloigné et perdu dans un bois, avec un homme de peu de foi. Lui et Jess s’étaient plutôt bien trouvés… sans cesse devant la télévision, à boire des bières et à consommer des choses totalement illégales. Darren provoquait la colère, toujours vers lui. Souvent, sa mère levait son poing d’un air menaçant au-dessus de lui, l’insultant, puis elle se calmait lorsqu’elle le perdait de vue. Cela arrivait avec absolument tout le monde… absolument tous. Jess aimait maquiller Darren, l’habiller avec des robes blanches et voluptueuses… c’était sa petite poupée, Darren le vivait bien. Elle criait souvent.

La relation avec cet homme dura très peu de temps, sans homme et sans ressources, Jess dut travailler. Elle alignait prostitution et strip-tease, et son fils et elle vivait dans une chambre d’hôtel… rien de bien glorieux. Jess consommait plus d’alcool, de drogues. Les fois où elle frappait Darren ne se comptaient plus… elle était constamment énervée, et même ceux qui côtoyaient Darren étaient énervés. L’achat de ses drogues, plus le coût de leur vie fut de trop, et ils finirent à la rue. Épuisée, Jess ne chercha pas à rebondir. Darren et elles se nourrissaient des poubelles, volaient les passants et les magasins, mangeaient ce que leur donnait des personnes attristées. Darren revivait cette sensation de faim : il était même prêt à manger n’importe quoi.

Jess le laissait souvent seule, en proie aux autres hommes qui vivaient aussi dans la rue. Avec l’âge, Darren avait perdu de sabelle couleur blonde, qui tirait de plus en plus vers le châtain, voire le noir. Les jours passaient, les semaines, et Jess ne parvenait plus à supporter son pauvre garçon. Chaque fois qu’elle le voyait, elle s’énervait, se mettait en colère… et plus elle le côtoyait, moins elle parvenait à se contrôler. Un jour, Jess se dit qu’il était temps de mettre fin à tout ça. Elle donna du poison à Darren, le força à le boire. Elle voulait qu’il meure, car pour elle, il était la source de tous ses problèmes.

Darren tenta d’appeler à l’aide, et alors qu’il vivait ses dernières heures et que sa mère s’était enfuie, il fut sauvé. Après avoir été soigné à l’hôpital, il intégra un pensionnat laïc. Les gens, toujours énervés, mais on ne lui faisait plus de mal… sept ans passèrent, Darren releva la tête. Autour de lui, il provoquait la colère. Alors il s’isolait, et tout se passait bien. Il aimerait avoir des amis, et il en avait quelque uns… mais il ne durait jamais bien longtemps. Un jour, Darren reçut une lettre. Une académie anglaise lui ouvrait ses portes, comme quoi il aurait un pouvoir… son pouvoir, faire fuir les gens ? Ah ! Darren voulait bien jeter cette lettre au feu… il ne pouvait croire qu’il avait un pouvoir… il ne pouvait croire que tout ce qui lui était arrivé, c’était à cause d’une force surnaturelle qu’il ne pouvait arrêter… Mais après réflexions, Darren se décida que là-bas, il serait protégé. C’était comme un pensionnat, mais un pensionnat où on pourrait le comprendre, et où il pourrait peut-être apprendre à contrôler son « don »… Il préparait ses valises.